Rapport scientifique

Influence du port de lunettes Alcovista® « High Level » sur la marche de jeunes adultes

Par Arnaud Gouelle, Docteur en Sciences du mouvement humain

Ecrit de manière à être compréhensible par un large public.

La marche est un des mouvements les plus courants de la vie quotidienne, à tel point que nous n’avons pas vraiment besoin d’y penser lorsque nous marchons et nous sommes capables de faire autre chose en même temps. Cependant, pour se déplacer de manière appropriée dans notre environnement, il est nécessaire d’anticiper et de réagir aux perturbations (ex. trottoir, autres personnes). Ces processus mettent en jeu différents systèmes sensoriels (vision, système vestibulaire, proprioception) et neuromoteurs, pour détecter ces « perturbations » externes et adapter le mouvement en conséquence.

Il est clair pour tous que l’ingestion de grande quantité d’alcool, induisant notamment une mauvaise coordination des mouvements, une diminution des réflexes et de la vigilance, va se manifester au travers de modifications visibles de la marche, de l’équilibre et d’une dégradation des capacités d’adaptation. Ce qui est sûrement moins évident, c’est qu’une ingestion modérée d'alcool affecte déjà certaines caractéristiques de la marche et de l’équilibre, de manière moins perceptible à l’œil nu, et cela même en l’absence de réelles perturbations extérieures. Plus précisément, sous l’effet de l’alcool, la marche tend à être plus lente et inconsistante (plus variable), avec des pas moins nombreux et plus courts, avec parfois un écart accru entre les deux pieds.

Lors d’actions pédagogiques et de prévention, les participants sont souvent amenés à expérimenter l’influence de l’alcool sur la réalisation de différents gestes simples, tels que marcher le long d’une ligne au sol, rester en équilibre sur une jambe, ou prendre un objet. A cette fin, des lunettes de simulation permettent à l’usager de se trouver dans une situation similaire à un état d’ébriété réel avec les comportements qui vont de pair comme le déséquilibre, la déformation de la vision, les temps de réaction accrus.

Dans le cadre de la formation initiale d’étudiants de Master 1 spécialité Biomécanique Humaine, Ergonomie et Recherche Clinique (UFR Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives de Reims), nous avons réalisé un simple protocole pour évaluer l’effet du port de lunettes de simulation sur la marche de jeunes adultes. Nous avons fait l’hypothèse que des changements similaires à ceux induits par une consommation d’alcool seraient observés.

Méthodes

25 étudiants (7 femmes, 18 hommes), de 20 à 30 ans (âge : 23.2 ± 2.6 ans ; taille : 174.7 +/- 9.1 cm) ont participé à ce protocole, réalisé au cours d’une séance de travaux pratiques.

Il a été demandé à chacun de marcher à vitesse spontanée, d’abord en condition standard (sans lunettes) puis en portant des lunettes de simulation d’alcoolémie. Les lunettes sélectionnées étaient des lunettes de simulation Alcovista® (Preventrika France, Paris, France), de type « High Level ». Via un filtre de distorsion prismatique et la limitation du champ de vision, ces lunettes se proposent de simuler les perturbations physiologiques induites par un taux d’alcool compris entre 0.8 et 1.5 gr/L, soit une consommation de 4 à 8 verres d’alcool. Les étudiants n’ont découvert l’effet du port des lunettes qu’au moment de l’enregistrement de la marche avec lunettes (pas de test préalable).

La marche a été enregistrée grâce à une piste de marche Zeno (ProtoKinetics LLC, Havertown, Etats-Unis ; commercialisée en France par la société SAMMed). Il s’agit d’une piste électronique, dotée de plusieurs milliers de capteurs sensibles à la pression, qui permet d’enregistrer la position des pieds et les pressions exercées sur le sol, afin de calculer les paramètres spatio-temporels de la marche (ex. longueur du pas, cadence, part de temps passé sur les deux pieds ou sur un pied, etc…) et d’accéder à des informations relatives au déroulé du pas. Le système à disposition présentait une longueur active de 4.27 mètres et une largeur active de 0.61 mètres. Cette zone d’enregistrement est matérialisée par un couloir de marche de couleur claire (voir vidéo). Les individus ont débuté environ 1.5 mètres avant le tapis et terminé 1.5 mètres après, pour enregistrer ni phase d’accélération ni phase de décélération. Afin d’avoir suffisamment de pas pour l’analyse, entre 3 et 5 passages sur le tapis ont été enregistrés, en fonction de la taille des sujets et de la réussite ou non à marcher sur le tapis avec les lunettes. Il est à noter que des tapis plus larges existent (122 cm de large) et auraient été plus adaptés à ce type de protocole.

Les données ont été traitées et analysées à l’aide du logiciel PKMAS (version 5.09). Un test de Wilcoxon pour échantillons appariés a été réalisé pour identifier statistiquement les changements dans les paramètres de la marche.

Résultats

Au cours de la condition sans lunettes, les étudiants ont montré des caractéristiques de marche tout à fait prévisibles dans une population contrôle adulte, tant pour les paramètres moyens que pour la variabilité. Hormis pour la vitesse de marche et la longueur des pas, qui sont directement influencés par la longueur des jambes, ils ont tous montré des paramètres comparables (voir les écarts-types du groupe qui sont relativement faibles).

En condition de simulation de consommation d’alcool, avec les lunettes Alcovista®, les individus ont marché significativement moins vite, du fait d’une diminution conjointe de la cadence et de la longueur de pas, ont augmenté légèrement leur largeur de pas et ont passé un peu plus de temps en phase de double appui (part de la marche où l’on est sur les deux pieds en même temps). Evidemment, tous n’ont pas systématiquement répondu de la même manière, certains étudiants étant plus affectés que d’autres. Cela peut se voir au travers de l’écart-type du groupe qui est à peu près du double de la valeur en condition normale. Par exemple, sur les 25 sujets, 14 ont diminué leur vitesse de plus de 10%, 5 ont diminué entre 5 et 10%, 5 ont montré moins de 5% de variation de vitesse et 1 a marché 7% plus vite.

En termes de variabilité, celle-ci est accrue avec les lunettes pour tous les paramètres, tant spatiaux que temporels. De même, l’impact a été différent selon les sujets mais tous ont augmenté la variabilité de leur marche.

Tableau 1. Comparaison des paramètres spatiotemporels de la marche avec et sans lunettes. Les différences significatives apparaissent en rouge.

  Marche normale   Avec lunettes Alcovista   Niveau p.
  Moyenne Écart-type   Moyenne Écart-type   Sign. <0.05
               
Paramètres moyens              
Vitesse (cm/s) 141.29 12.19   121.85 25.45   0.0001
Longueur de pas (cm) 73.78 5.37   67.00 9.05   0.0001
Cadence (pas/min) 114.35 5.89   108.38 12.11   0.0038
Walk Ratio (cm/(pas/min)) 0.65 0.06   0.62 0.08   0.0094
Largeur de pas (cm) 8.58 3.24   9.48 5.15   0.0173
Phase d'appui (% cycle) 60.98 1.00   61.57 1.78   0.0149
Simple appui (% cycle) 39.17 0.98   38.68 1.92   0.0875
Double appui (% cycle) 21.65 1.98   22.84 3.60   0.0303
               
Paramètres de variabilité              
Vitesse - CV 3.93 1.46   6.68 4.38   0.0008
Longueur de pas - CV 3.13 0.90   5.19 2.62   0.0003
Largeur de pas - Ecart-type 2.10 0.65   4.52 2.19   0.0000
Phase d'appui - CV 1.58 0.33   2.94 2.03   0.0000
Simple appui - CV 2.53 0.47   4.59 3.27   0.0002
Double appui - CV 5.25 1.37   7.31 3.42   0.0011
Gait Variability Index 100.33 4.60   115.82 13.80   0.0003
               

 

Sur cette video vous pouvez voir le cheminement avec lunettes ou sans lunettes , cliquez ici

Conclusion

Lorsque nous nous intéressons aux statistiques de groupe (comment les paramètres ont eu tendance à changer avec lunettes), il apparaît que la marche a été modifiée de manière conforme à ce que l’on pourrait observer avec une consommation d’alcool. Evidemment, il n’est pas possible de dire si les modifications seraient de même grandeur avec une alcoolémie entre 0.8 et 1.5 g/l. Toutefois, si l’on prend la diminution moyenne de la vitesse dans notre groupe d’étudiants (-14%), elle est comparable à la diminution de 11% observée dans une étude de Demura et Uchiyama (2008), 20 minutes après l’ingestion d’alcool pour une alcoolémie estimée entre 1.3 et 1.7 g/l, chez de jeunes hommes adultes.

D’autre part, si tous les individus n’ont pas été affectés de façon similaire, il en est de même lorsqu’il est question d’alcool, certaines personnes étant dites comme « tenant mieux l’alcool ». Aucune information relative à la consommation habituelle des sujets n’a été recueillie dans le cadre de ce petit protocole à visée pédagogique, mais il serait intéressant de savoir si les individus qui ont montré le moins de modifications sont également les plus gros consommateurs.

En résumé, les lunettes Alcovista® semblent tout-à-fait répondre à leur visée d’alternative pédagogique et de prévention.